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1.
C’est avec Thierry juste avant son départ que nous, quelques-uns de ses amis proches, avons décidé de réaliser ce disque. Une promesse et un désir de pouvoir écouter gravés sur vinyle ces échanges électriques. Ce disque a été rendu possible grâce à une souscription et différents dons. Les éventuels bénéfices des ventes seront reversés au 102 rue d’Alembert à Grenoble.

2.
Thierry Monnier, 1972-2022

Pour beaucoup, il a été la présence au bout du fil ou du mail à Metamkine. Pour d’autres, il était une voix de la musique expérimentale sur Radio Campus et un programmateur imaginatif, attentionné et persévérant au 102. Il était aussi cet assidu compagnon de festivals, avec qui on était ravi de partager l’enthousiasme suscité par certains concerts, ou la bière et la conversation préférées à d’autres. Il était encore la tête et les mains du label Doubtful Sounds, dont le catalogue témoigne d’une exigence éclectique, d’une volonté de soutenir des artistes complices jusqu’au bout de leurs expérimentations, et d’un grand amour de l’objet discographique. Enfin, il était bien sûr l’une des deux guitares de Sun Stabbed et œuvrait au sein de La Morte Young, tandis qu’en solo, lors de trop rares concerts et dans quelques publications, il explorait avec une patience infinie les possibilités d’une guitare préparée avec économie, parfois associée aux jeux offerts par la bande magnétique, format Revox ou dictaphone.
[…]
Alors qu’on le croyait volontiers casanier, Thierry avait développé une passion pour la Nouvelle-Zélande, nourrie par son goût de la géographie, de l’anthropologie et du traitement si particulier que quelques expérimentateurs y réservent aux guitares depuis les années 1990. Cet autre bout du monde était devenu pour lui une destination visitée à plusieurs reprises, et Bruce Russell (The Dead C), Michael Morley (The Dead C, Gate) ou Stefan Neville (Pumice) des amis chez qui partager un canapé, un bout de route, un projet d’édition ou une improvisation.
[…]
Pour nous toutes et tous qui l’avons accompagné jusqu’au bout, ces notes et ces vibrations rauques sonnent plus étrangement encore. Elles résonnent aussi de sa sérénité et de sa tempérance, avec lesquelles il nous a rassuré·e·s autant que nous l’avons accompagné. Elles résonnent de sa curiosité et de sa capacité à relever l’importance du détail d’un son, d’une phrase ou d’un paysage face à l’immense ineptie du monde. Thierry a dédié beaucoup de sa vie, de son attention et de son intelligence à la musique, mais il savait au fond que la musique n’a pas tant d’importance. Thierry avait choisi la musique comme une manière de trouver sa propre voie, de construire ses amitiés, de se tenir un peu en marge des lourdeurs et du manque d’imagination d’une société capitaliste et moribonde. Thierry avait choisi la guitare à l’opposé des postures égotiques ou viriles, pour partager l’émerveillement d’en voir sortir un peu (ou beaucoup) de magie électrique. Je crois qu’il aurait apprécié l’idée que l’on puisse retrouver dans son rapport à l’instrument un peu de son rapport à la vie.

Poroporoaki, Teremoana.

Pali Meursault
(Portrait publié dans Revue & Corrigée #122, septembre 2022)

3.
Thierry adorait la Nouvelle-Zélande et semblait même trouver les Néo-Zélandais plutôt agréables. Bien que nous nous soyons rencontrés pour la première fois en France, je l’avais déjà croisé en Nouvelle-Zélande à plusieurs reprises, alors lorsqu’il m’a suggéré que nous profitions de sa visite de l’été 2020 pour enregistrer quelques morceaux, cela m’a semblé être un bon plan. Bien sûr, je n’avais aucune idée de ce qui nous attendait. L’enregistrement s’est fait dans le nouveau studio que nous avions récemment terminé dans le cabanon derrière la maison. Un processus simple qui a pris environ une heure, même si Thierry a dû se familiariser avec l’amplificateur que je lui avais prêté, et qui n’était pas tout à fait ce à quoi il était habitué, mais je pense qu’il a fini par en tirer de très bons sons. Après son départ pour l’île du Nord, le COVID est soudain devenu un problème majeur, et il a eu la chance de rentrer chez lui avant que tout le pays ne soit bloqué pendant des mois. Mais il est retombé malade à cause d’une maladie bien pire que le COVID, et il s’est avéré que ces sessions sont devenues un mémorial de sa dernière visite aux Antipodes. Un mémorial tout à fait approprié pour un grand ami de la Nouvelle-Zélande et, je suis fier de le dire, un ami personnel aussi.
Bruce Russell, Lyttelton, Pâques 2023