Le cirque est un lieu de lumières et de couleurs, mais aussi d’ombres, voire de ténèbres. Certes, il ravit les enfants et fait rire les adultes. Mais il suffit d’un soir d’automne pluvieux près d’un chapiteau et d’une odeur de fourrage pour penser à la tristesse des clowns, au dressage sans fin des animaux et aux monstres cachés dans quelque caravane… Le cinéma, l’essence du cirque – mouvement, lumière, danger et burlesque – auront été admirablement rendus dans Notes sur le cirque de Jonas Mekas (1966), l’un des inventeurs du journal filmé. Avec Cirque, Michèle Bokanowski effectue un travail similaire, entièrement dédié à la filature, dans le domaine musical.
Elle s’est notamment distinguée dans la composition de musique concrète, entre autres Tabou et Trois chambres d’inquiétudes, après avoir étudié avec Pierre Schaeffer et Éliane Radigue. Cette dernière, grande dame du drone et du minimalisme, est tombée sous le charme du Cirque et a écrit le livret de la pièce comme un poème.
L’œuvre, divisée en cinq mouvements, est basée sur le traitement et le montage d’enregistrements réalisés dans un ou plusieurs cirques (ce qui n’est pas précisé et n’a pas d’importance) entre 1988 et 1993. L’allegro initial révèle le galop d’un cheval rejoint progressivement par d’autres images. L’idée de l’espace circulaire du chapiteau est immédiatement et magnifiquement rendue et sera constamment rappelée par une utilisation insistante de la technique de la boucle. Rires d’enfants, applaudissements et roulements de tambour sont ainsi cisaillés, répétés avant d’être brutalement interrompus. Les interludes d’accordéon et la distorsion des sons créent une atmosphère onirique. Ce beau cauchemar nous rappelle, pour reprendre les mots d’Éliane Radigue, la « Magie de l’enfance qui vit encore dans le cœur de l’homme au-delà de sa fin abrupte. »
Alexandre Galand, « Field Recording – L’usage sonore du monde en 100 albums » (éd. Le mot et le reste, 2012).