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Gong solo sur presque une heure de durée. Un frottement continu, une performance époustouflante, une continuum parfait ! “Il faut entendre le premier mouvement de Fritz Hauser ; entendre ce mouvement d’avant le premier son, ce mouvement qui provoquera le premier son de Schraffur. Le moment est insaisissable, il tient de la seconde cent fois découpée, mais n’en est pas moins important : parce qu’il renferme la seule trêve concédée par cet ouvrage d’endurance. Il faut entendre ce mouvement ou bien l’imaginer. Après quoi, Fritz Hauser se lance, frotte lentement d’abord la surface d’un gong de petite taille, avec application, comme un enfant entamerait au crayon l’angle d’un losange dans l’idée d’en colorier l’intérieur jusqu’à l’angle opposé – ici, quelques aspérités. On trouvera cependant des différences entre la figure de l’enfant et celle du musicien : l’instrument du second, par exemple, dépose non pas une mais cent couleurs à mesure qu’il progresse. Au lieu d’un losange monochrome, c’est une nouvelle représentation du Niesen – relief des Alpes bernoises mis jadis en valeur par les nuages de Ferdinand Hodler ou les couleurs de Paul Klee – qui apparaît maintenant. Niesen, variation Hauser : dans les eaux du lac qu’il domine, le grand triangle se reflète. Voici donc comment s’est formé ce losange qu’Hauser comble de ses couleurs. Mais alors que sa progression semblait toute tracée, qu’au mitan de l’ouvrage on distinguait déjà le point d’aboutissement, le percussionniste s’engouffre dans une ouverture qu’il a percée à force d’insistance. Sous la surface, Fritz Hauser est allé se perdre. Pour maintenant explorer. Schraffur a été écrite pour ça. Dans sa première version, elle est une pièce d’une vingtaine de minutes sortie d’un petit gong. Elle est le fruit d’une découverte et l’entame d’une nouvelle approche : “J’ai trouvé cette technique : je ne frappe plus, je gratte”, s’enthousiasme Fritz Hauser. L’amateur de silence qu’il est sait que le silence “absolu” n’existe pas, alors le voici adaptant son intérêt musical : “Ce que j’adore, c’est le passage du silence au son”. Du silence au son, Hauser passe donc sur ce gong de petite taille qui sera là son unique instrument : lentement d’abord, il en frotte la surface. Découvrir une chose, c’est la mettre à vif, disait Braque. Hauser frotte maintenant avec plus d’insistance. Les rayures qu’il dessine sur le métal rappellent les lignes qui animent le sable des jardins secs. De leurs rapprochements naissent des harmoniques qu’Hauser arrange en univers. Seul, sur ce Schraffur aux couleurs de Niesen, et quelques fois accompagné, le temps de représentations exceptionnelles : Schraffur pour gong et orchestre symphonique à Lucerne, Schraffur radiophonique, Schraffur pour gong et trois-cents percussionnistes au Théâtre de Bâle, avant d’autres Schraffur sans doute…” Guillaume Belhomme (extrait du livret)